« Lorsque nous prenons conscience de nos privilèges, il faut être prêt à y renoncer et c’est là toute la difficulté ». Voici ce que nous a confié Lavinia Ruscigni, coordinatrice du Festisol de Fort de France et aussi codirectrice de l’association D’Antilles et d’Ailleurs et déléguée départementale de l’association Mouvement du Nid qui agit en soutien aux personnes prostituées.
La posture d’allié·e ? Qu’est-ce que cela signifie ? Comment la mettre en pratique ? Quelles démarches doit-on adopter ? Ces questions, nous avons tenté d’y répondre avec l’aide de Lavinia Ruscigni lors d’une interview très inspirante.
Ses études, ses nombreux voyages et engagements lui ont ouvert les yeux sur les différents systèmes d’oppressions qui s’articulent et se cumulent, notamment les multiples formes de discriminations dont peuvent être victimes les femmes. À travers le discours de Lavinia, nous comprenons que la posture d’alliée est indissociable de l’intersectionnalité.
Lavinia explique que c’est la rencontre avec « l’autre » qui lui a permis de prendre conscience de ses privilèges. « Et si c’était moi ? » Cette question, elle se l’est posée pendant ses études à Milan, en étant chaque jour confrontée à la violence vécue par les personnes prostituées qu’elle croisait. Ce déclic s’est notamment confirmé il y a quelques années en s’installant en Martinique, où elle a vécu, en tant que femme blanche, des différences de considération et d’accès aux ressources par rapport aux femmes racisées*.
Lavinia RUSCIGNI
Cette réflexion sur les privilèges est un travail de longue haleine qui se fait sur plusieurs années. Et pour Lavinia, il s’est accompagné d’une réflexion sur sa posture en tant que militante à la fois dans la sphère personnelle et professionnelle.
C’est en adoptant une posture d’alliée à l’échelle individuelle puis collective, qu’on peut espérer construire un monde qui repose sur l’équité.
« Avant de vouloir transformer le monde, il faut d’abord faire des changements personnels »
Selon Lavinia Ruscigni, adopter une posture d’allié·e est avant tout être à l’écoute des personnes premières concernées par les discriminations. En posant la question « Tu le vis comment ? », on peut prendre conscience des réalités vécues par les autres. L’empathie, dit-elle, est une des choses essentielles. Se mettre à la place de l’autre pour le·la comprendre et intégrer ses besoins. Être allié·e, c’est aussi faire preuve d’humilité et agir en soutien, ne pas prendre trop de place en tant que personne privilégiée, et laisser la parole aux personnes premières concernées**. Enfin, selon Lavinia, il s’agit de verbaliser les différences pour favoriser la réflexion des autres personnes privilégiées. Une mission délicate qui nécessite de bien choisir ses mots et son ton. Lavinia nous a confié par exemple, que pour faire en sorte que certains hommes noirs prennent conscience du sexisme, elle les a renvoyés au racisme qu’eux-mêmes subissent. Une façon de se mettre à la place des personnes concernées et comprendre pour agir. À travers des animations, il est possible de montrer les privilèges et verbaliser la différence, comme dans le jeu du pas en avant, ajoute Lavinia.
En bref, la posture d’allié·e peut être adoptée à différents niveaux. Elle est indissociable de la réflexion sur ses propres privilèges, et c’est en se lançant dans cette implication et cet engagement que l’on peut contribuer à construire une équité.
Marion FRESNEAU et Bérénice BRIGHTON
* Le terme « racisé » désigne le fait de subir un processus de racisation, c’est-à-dire un processus par lequel une personne, en raison de certaines caractéristiques subjectives, est assignée à une race déterminée et susceptible d’être victime de discriminations. Dans ce contexte, la « race » n’est pas considérée comme biologique, mais elle est une construction sociale qui sert à exclure certaines catégories de personnes qui subissent le racisme.
** Le concept de premièr·e concerne·é désigne une personne individu directement victime de discrimination, de violences dues à certaines dimensions de son identité (genre, race, orientation sexuelle, handicap, etc.). Par exemple les femmes sont les personnes premières concernées par le sexisme, les personnes racisées sont les premières concernées par le racisme, etc.