« La réciprocité en pratique » retours sur deux jours d’échange pour des partenariats plus égalitaires

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Il est ressorti de ces interventions une nécessité de prendre en compte l’histoire coloniale pour penser la réciprocité dans l’Aide Publique au Développement. En effet, construire des partenariats égalitaires et réciproques, nécessite de reconnaître les asymétries de groupe et les rapports de domination issus de l’histoire coloniale.Le concept de « non-innocence » permet de nuancer notre responsabilité vis-à-vis d’une époque coloniale et des rapports de domination qui en découlent : nous n’en sommes pas coupables, mais pas totalement innocents non plus.

Ainsi, construire la réciprocité implique en premier lieu de reconnaître nos privilèges pour apprendre à se décentrer, à travailler sur notre posture et à réinterroger nos mécanismes. Le décentrage passe également par l’apprentissage réflexif, qui suppose d’être en capacité de remettre en cause nos savoirs, d’accepter d’être déstabilisé et de favoriser la construction commune d’une connaissance.

Le temps long est également nécessaire pour nouer des partenariats de confiance. Pour développer des relations saines et équilibrées, il semble important de nouer une culture du dialogue en favorisant l’écoute active, la communication et l’animation des conflits.

Le développement de partenariats internationaux entre organisations de solidarité internationale permet de créer des relations entre citoyennes et citoyens qui vont au-delà des États. Ces relations sont essentielles car elles dépassent les enjeux géopolitiques et favorisent la paix. Elles peuvent être sources d’émancipation dans la mesure où elles permettent une remise en cause commune des pouvoirs et inégalités.

La réciprocité, c’est donc inventer de nouvelles façon d’échanger, allant bien au-delà du « don contre don », passant par la création de communs, l’apprentissage mutuel et la solidarité libre et volontaire.

Les intervenant·e·s ont témoigné de plusieurs projets d’ECSI ayant permis de renforcer la réciprocité entre acteurs de la solidarité internationale. Par exemple, le projet Regards Croisés et InTerculturels organisé par l’association Engagé·e·s & Déterminé·e·s permet de créer des espaces de rencontre interculturelle et d’échanges autour de la citoyenneté entre jeunes venu·e·s de Tunisie, Maroc, France ou Belgique. Ces échanges permettent une lecture de l’autre et du monde, un partage de perceptions et l’émergence de connaissances collectives. L’association Ivoirienne Sterna Africa propose également en Côte d’ivoire des camps ECSI favorisant les échanges interculturels entre jeunes venus de France ou de pays voisins, ces échanges permettent de déconstruire les préjugés et d’identifier des valeurs et enjeux communs. D’autres projets d’ECSI, tels que ceux développés par l’association gabonaise Réseau Femme-Lève-Toi visent à renforcer le pouvoir d’agir des jeunes, des femmes ou d’autres personnes souvent exclues des espaces de décisions, permettant ainsi de renverser les rapports de domination.

Pour favoriser la réciprocité dans les projets internationaux d’ECSI, les invité·e·s ont mis en avant l’importance de la coconstruction mais également de l’adaptation des outils pédagogiques utilisés au contexte d’intervention. Les outils artistiques tels que le théâtre ou le slam sont par exemple particulièrement pertinents pour se mobiliser en contexte de forte répression politique.

L’association Terrafrik Guinée a initié en 2024 un partenariat avec la Maison des Citoyens du Monde à Nantes autour du sujet de l’extractivisme. Pour les deux organisations, il était important de commencer par se rencontrer, partager les visions et valeurs de chacune des organisations afin de trouver des convergences et faire émerger des possibilités de projets communs. De nombreuses valeurs communes ont été identifiées : les droits humains, la solidarité, la lutte contre les discriminations. Finalement, la thématique de l’extractivisme est apparue comme un bon moyen de renforcer les liens entre des luttes en France et en Guinée et de favoriser l’apprentissage mutuel en partageant le vécu et l’analyse de ces enjeux entre deux pays. Plusieurs projets ont alors été mis en place tels que la coconstruction d’un outil pédagogique, ou encore des échanges entre jeunes guinéens et français autour du slam lors du Festival des Solidarités.

Le partenariat entre l’association Sterna Africa en Côte d’Ivoire et Court-Circuit 47 à Agen, a également été initié en 2024. Ce partenariat est né lors de la Rencontre Internationale de l’Éducation Populaire et Solidaire, notamment d’une discussion autour des enjeux environnementaux et sociaux du textile et de leurs impacts sur leurs territoires. Des échanges entre jeunes en formation dans la filière textile à Agen (France) et à Grand-Bassam (Côte d’Ivoire) ont alors été initiés. Le projet « Au bout du fil» a alors émergé. Ce projet, coconstruit avec les élèves, comprend la réalisation d’un film sur le parcours des déchets textile en Afrique de l’Ouest, des projections entre les deux pays et des échanges entre les élèves des deux pays. L’implication des élèves travaillant le textile leur permet, à partir d’un objet quotidien qu’il connaissent bien, de prendre conscience des enjeux internationaux liés au textile, et leur impact sur la vie d’autres élèves à l’autre bout du monde.

Les enjeux coloniaux se réfèrent à l’héritage historique du colonialisme, où des rapports de domination, d’inégalités et d’exploitation, ont marqué durablement les relations entre les peuples et les territoires. Cet héritage continue de se manifester aujourd’hui dans les rapports de force et les structures de domination qui perdurent. Il se manifeste notamment par l’exploitation économique, l’inégalité d’accès aux ressources et la déshumanisation de certaines populations. Dans l’aide au développement, cela se traduit par exemple par une vision développementaliste de certaines ONG qui justifient des interventions, sous prétexte d’améliorer les conditions de vie des populations, mais ne prennent pas en compte les besoins réels des populations et les contextes locaux des territoires sur lesquels elles agissent.

La mémoire du passé colonial de la France est souvent tue ou minimisée, elle se traduit par un déni et un silence vis-à-vis des injustices passées. Or, la question de la réparation reste aujourd’hui un enjeu fondamental, notamment en regard de la dette colonial. Pour rétablir la justice et l’égalité, les anciennes puissances coloniales ont un devoir de mémoire, de reconnaissance et de réparation.

La décolonisation suppose de rétablir le droit des peuples à disposer d’eux même. Cela concerne par exemple la lutte du peuple palestinien, mais également les droits des peuples autochtones. L’écologie décoloniale invite à décentrer notre point de vue pour apporter des réponses aux enjeux écologiques qui prennent en compte les droits des peuples partout dans le monde. Le concept de « colonialisme vert » vient par exemple cibler les pratiques telles que la création de parcs naturels qui ne prenant pas en compte les droits des peuples autochtones d’habiter leurs terres et de penser des modes de gouvernance des ressources naturelles plus durables.

La décolonisation des partenariats dans la solidarité internationale invite à repenser les relations de pouvoir existants pour créer des partenariats sur des bases plus égalitaires. Cela implique  par exemple de briser le silence autour de la dette coloniale, d’interroger les logiques de financement et d’engagement, et de promouvoir un partage de savoirs et d’expériences en mettant au centre, les peuples les plus concernés par les enjeux.

Voici quelques points concrets à mettre en œuvre pour les organisations qui souhaitent travailler sur la décolonisation de leurs pratiques :

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